C’est la fin du flou juridique qui entourait la question de l’obligation de domiciliation de revenus liée à la souscription d’un prêt immobilier. Celle-ci a trouvé une réponse officielle et la Loi PACTE du 15 mars 2018 devrait bientôt interdire aux banques d’exiger à leurs nouveaux clients de domicilier leurs salaires en contrepartie d’un avantage consenti sur le prêt.
L’emprunteur pourra ainsi librement contracter un crédit immobilier dans un nouvel établissement et conserver la domiciliation des salaires dans sa banque actuelle.
Les recommandations de la commission des clauses abusives
Avant l’ordonnance de 2017 et la Loi PACTE de 2018, le caractère abusif de la clause de domiciliation de revenus relevait uniquement des recommandations de la commission des clauses abusives en matières de prêt immobilier. Ses membres ont pour mission de donner un avis sur le caractère d’une clause contractuelle et de signaler, lorsqu’elle apparaît abusive, les déséquilibres qu’elle peut créer. Elle n’a pas force de loi, mais le juge peut s’en inspirer.
La recommandation n° 04-03 relative aux contrats de prêt immobilier parue au bulletin officiel du 30 septembre 2004 précise que l’emprunteur peut être contraint par la banque à ouvrir, préalablement à la souscription d’un crédit immobilier, un compte courant et d’y domicilier ses revenus. Cette condition est admise, car posée en contrepartie d’un service rendu (le crédit bancaire).
En revanche, la commission considère comme étant une clause créant un déséquilibre :
- L’obligation de domicilier ses revenus jusqu’au terme du prêt, sauf lorsque la banque et l’emprunteur conviennent d’une contrepartie, un avantage sur le taux d’intérêt par exemple.
- Le fait que l’organisme prêteur déclare la déchéance du prêt dans le cas où il arrête de domicilier ses salaires et contraigne l’emprunteur à rembourser le capital restant dû.
Sachez par ailleurs qu’après avoir été interdite par la loi, la vente liée est autorisée depuis mai 2011 par le Code de la consommation, la France se conformant alors à une directive européenne du 11 mai 2005. Dans le cas d’une obligation de domiciliation de salaires, cette exigence a cependant deux limites :
- Elle ne doit pas constituer une pratique déloyale au sens de l’Article L.120-1 du Code de la consommation.
- Elle ne concerne pas les crédits sauf dans le cas où « l’offre bancaire est indissociable ».
L’ordonnance du 1er juin 2017
Entrée en vigueur le 1er janvier 2018, elle prévoit d’encadrer l’obligation de domiciliation des revenus liée à l’octroi d’un prêt immobilier, notamment sur les deux points suivants :
- Limitation de la durée de l’obligation (1).
- Contractualisation par écrit de l’avantage individualisé octroyé en contrepartie de l’exigence de domiciliation.
Malgré la volonté de donner un cadre légal à cette pratique controversée, elle a provoqué un véritable lever de bouclier.
C’est tout d’abord l’AFUB (Association Française des Usagers de Banques) qui a intenté un recours devant le Conseil d’État qui s’est tourné lui-même vers la Cour de justice de l’Union Européenne. Puis, ce fut au tour de UFC QUE CHOISIR de pointer les préjudices subis par les emprunteurs. Enfin, le CCSF (Comité consultatif du secteur financier) en la personne de sa présidente Corinne DROMER qui a proposé purement et simplement l’abrogation de l’ordonnance, considérant d’une part que conditionner l’octroi d’un crédit bancaire à la domiciliation des salaires pouvait constituer un frein à la mobilité bancaire et d’autre part que l’avantage offert par la banque à un nouveau client était difficilement vérifiable, les taux d’intérêt relevant de la seule politique tarifaire de l’Etablissement.
(1) : la durée a été fixée à 10 ans par le décret du 14 juin 2017.
La Loi PACTE du 15 mars 2019
C’est un retournement de situation inédit puisque les députés ont voté un amendement au projet de la Loi PACTE visant à supprimer l’obligation d’ouverture de compte avec domiciliation tel que prévu à l’ordonnance du 1er juin 2017. Actuellement en lecture au sénat, la loi pourrait définitivement être adoptée dans les semaines qui viennent.
Important : en attendant le vote définitif et la parution au journal officiel, l’ordonnance de 2017 reste en vigueur.
Devez-vous rembourser le prêt en cas de changement de la domiciliation de revenus ?
Dans la pratique, les organismes prêteurs ne se risquent pas à une telle extrémité et elles n’insèrent quasiment jamais de clause de remboursement anticipé pour changement de domiciliation de revenus dans le contrat de prêt. De plus, il est probable qu’en cas de procédure, les juges suivront l’avis de la commission de clauses abusives.
En conclusion : à l’heure actuelle, l’organisme de crédit a le droit d’exiger de l’emprunteur qu’il ouvre un compte et domicilie ses revenus en contrepartie d’un prêt immobilier. En revanche il ne peut que difficilement l’empêcher de changer de banque par la suite.
Notre conseil : mettez à profit les 10 jours de réflexion imposés par la loi pour lire attentivement l’offre de prêt. Vérifiez qu’aucune clause ne prévoit la déchéance du terme en cas de changement de domiciliation de revenus.
Sources juridiques